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Un sillon, une voix
14 juillet 2015

COMPTE RENDU D'ALTERCATION

 

Dans un article précédent, "La souffrance au travail, le management alternatif", j’évoquais rapidement ce que j’appelle le "compte-rendu d’altercation".  A savoir, le fait d’adresser un compte rendu de l’altercation vécue avec son "harceleur"  lorsque l’on a le sentiment que l’on est victime de harcèlement dans un contexte professionnel.

L’erreur à ne pas commettre

J’évoquais également l’erreur à ne pas commettre, mais tellement naturelle, celle qui consiste à rapporter au N+2 les agissements du N+1. Cela équivaut quasiment systématiquement à un suicide professionnel, disais-je. Je persiste à le penser. Mis à part dans un cas précis où les agissements du "harceleur" ont pu être prouvés grâce aux SMS qu’il avait envoyés à sa victime, les conséquences sont systématiquement catastrophiques pour le salarié et finissent bien souvent par une rupture de son contrat de travail.

Pour quelles raisons ?

En premier lieu, le bloc hiérarchique ne se disloque jamais. Bien souvent, c’est le N+2 qui a nommé le N+1 à ce poste. Pour le N+2, désavouer son N+1 reviendrait à reconnaître qu’il a fait un mauvais choix, autrement dit, à se désavouer lui-même. Le lecteur reconnaîtra que c’est fort peu probable…

Par ailleurs et c’est certainement le plus grave dans cette démarche, le N+1 peut avoir l’impression qu’il a été "shunté" par son subordonné. En électronique, le "shunt" est ce dispositif électrique qui permet d’évacuer la puissance électrique sans passer par les appareils électriques ou électroniques eux-mêmes. Le N+1 en éprouve à juste titre un sentiment d’humiliation. Or, même si les brimades que l’on a subies peuvent donner le sentiment d’avoir été humilié, j’affirme ici que l’on ne peut répondre à l’humiliation par l’humiliation. C’est la loi du Talion, en quelque sorte; "œil pour œil, dent pour dent". On voit ce que cela donne entre Israéliens et Palestiniens. Inutile d’épiloguer…

En dernier lieu, parce que ce comportement est tout simplement enfantin. En effet, notre enfant intérieur est touché profondément lorsqu’il subit les brimades et humiliations évoquées plus haut. Et la tendance naturelle est de le hurler sur tous les toits, comme lorsque nous étions petits et que nous avions mal. "Eh, Maîtresse, il m’a fait mal!" Souvenons-nous juste, qu’à cette époque, nous savions déjà qu’il n’était pas moral de "rapporter". Si je m’en tiens à mon expérience personnelle, c’est une épreuve redoutable que de résister à l’envie "d’arroser" les intervenants ayant un lien direct et/ou indirect avec l’altercation: N+2, ressources humaines, médecin du travail et j’en passe.

Le compte-rendu d’altercation

Alors que faire?

La technique développée ici est en quelque sorte une application dans le monde du travail d’une technique cognitivo-comportementale (TCC) appelée Communication Non Violente (CNV),  développée dans les année 1950 par un psychothérapeute américain, Marshall B. Rosenberg et décrite dans son livre: "Les mots sont des fenêtres(ou bien ce sont des murs)", Editions La Découverte, Paris, 2002, 2005.

La Communication Non Violente s’appuie sur un processus qui comporte quatre étapes :

  • observer sans évaluer,
  • identifier et exprimer ses sentiments,
  • assumer la responsabilité de ses sentiments,
  • formuler une demande qui contribuerait à notre bien être.

Ici, je propose de se concentrer sur la première étape uniquement. En effet, la CNV a l’air séduisante, vue de loin, mais lorsque l’on y regarde de plus près, les écueils sont très nombreux et ce, à chaque étape du processus. Donc autant limiter les risques.

Le salarié confronté à une situation de harcèlement ou de violence au travail peut écrire un mail à son "harceleur", quelques heures après l'altercation, histoire d’attendre que la colère retombe. En effet, d’une part, la colère est mauvaise conseillère et d’autre part, elle brouille l’effort de mémoire nécessaire dans l’exercice. Le compte rendu sera fait l'après-midi si l’altercation a eu lieu le matin, le lendemain matin, sinon. Le salarié envoie ce mail à son "bourreau", sans mettre qui que ce soit d'autre en copie. Il ne s'agit pas d'humilier celui (ou celle) qui vous humilie en retour, comme je l’ai détaillé plus haut... Dans ce mail, le salarié décrit par le menu les échanges verbaux qui ont eu lieu au cours de l'altercation. Et surtout le salarié s'astreint à n'émettre aucun jugement, aucun ressenti, aucune interprétation. Le mail ne contiendra donc que ce que l’on appelle le verbatim:

"Tel jour à telle heure, tu m’as dit ceci… Je t’ai répondu cela…"

Une chose importante : ne pas oublier de dater l’altercation, le plus précisément possible, comme vous l’aurez compris dans l’illustration donnée ci-dessus.

Une alternative consiste à déposer une "main courante", en gendarmerie ou au commissariat de police, si vous ne vous sentez pas d’écrire vous-même ce compte rendu. Un avantage dan cette démarche: le gendarme ou le policier, en vous posant un certain nombre de questions, garantira la cohérence de vos propos.

 

Les conséquences du compte rendu d’altercation

Dans la population, il existe une proportion d'à peu près 1 à 3 % de vrais pervers. Le vrai pervers est celui ou celle qui par définition fait le mal sciemment et se délecte consciemment du mal qu’il fait à autrui.  Certes, ce type de courrier ne l’arrêtera pas et nous traiterons dans un deuxième temps ce cas-là. Traitons tout d’abord celui du N+1 normalement constitué, normalement névrosé, oserai-je dire, soumis lui-même à des injonctions sociétales fortes et certainement paradoxales, comme dans l’expérience de Milgram décrite dans l’article "La souffrance au travail, le management alternatif" précédemment évoqué.  Au travers du compte rendu d’altercation, vous offrez à cette personne un  miroir de ce qu’elle est. En omettant tout ressenti, tout jugement et toute interprétation, vous faites disparaître ce que vous êtes. Ne subsiste que le miroir…

A l’aide de ce miroir, cette personne normalement constituée devrait cesser son œuvre de harcèlement au bout de quatre ou cinq courriers de ce type, au grand maximum. Toutes les occurrences que j’ai pu expérimenter moi-même ont montré qu’une seule fois suffisait: soit la personne se confond en excuses, soit elle se met très en colère, vous le restitue mais se garde bien de divulguer cette colère à autrui, soit la personne ne vous répond pas et vous en restez là.

Reste le cas du vrai pervers. Je ne l’ai pas oublié. Dans la mesure où il se délecte du mal qu’il vous fait, les compte rendus d’altercation ne suffiront pas à l’arrêter. Quinze, vingt occurrences se succèdent alors…

Permettez-moi une digression d’ordre juridique à présent, il est communément admis le principe juridique suivant: "Nul ne peut se constituer de preuve à soi-même." Ce principe s’appuie très librement sur la maxime d’Euclide d’Alexandrie: "Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve", mais ne s’appuie en réalité sur aucun article du code civil, du code de procédure civile ou du code du travail. En outre, ce principe souffre quelques exceptions. Et heureusement!

Au nombre desquelles, je peux citer les suivantes :

  • les heures supplémentaires,
  • le harcèlement.

En effet, en matière d’heures supplémentaires, un simple agenda, tenu quotidiennement, suffit pour les prouver. En matière de harcèlement, le pervers s'abstient de vous répondre, étant donné qu'il vous tient dans le pus profond des mépris. Et qui ne dit rien consent... Les mails ou les mains courantes vont suffire dans ce cas à prouver le caractère fréquent, répétitif, ciblé et dans l’intention de nuire du harcèlement que vous subissez. Autrement dit, tout ce qui définit juridiquement le harcèlement moral. Pour un défenseur syndical, un avocat ou un conseiller prud’homme, les conditions sont alors enfin réunies pour faire tomber le "harceleur".

 

Ma démarche a pour but de faire connaître cette technique. Mon sentiment est que les "harceleurs" ont une autoroute devant eux et que cette situation doit cesser. Elle cessera si nous sommes en mesure de nous armer de méthodes efficaces et qui ont fait leur preuves. Il est certain que la méthode s’affinera au fur et à mesure que les salariés se l’approprieront. Je ne demande qu’à en être le témoin.

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Commentaires
L
Intéressante approche...<br /> <br /> Toutefois, en tant que conseiller ph expérimenté je peux attester que la simple production d'un relevé d'horaires ou agenda ne suffit malheureusement pas à prouver la réalité d'heures supplémentaires. C'est le débouté systématique en l'absence d'autres éléments🤔<br /> <br /> Lolo 58
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Un sillon, une voix
  • Devant le rouleau compresseur de la pensée unique, "Un sillon, une voix" se veut l'expression d'une pensée différente. Pensée dont le but est de remettre l'humain et l'humanité au coeur de nos préoccupations. La "Voix" est liée à ma passion pour le chant.
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