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Un sillon, une voix
8 mars 2015

Je suis Charlie

Ich bin ein Berliner

" Ich bin ein Berliner " (" Je suis un Berlinois ") est une célèbre phrase prononcée par John Fitzgerald Kennedy, alors président des Etats-Unis, dans le discours qu'il fit lors de sa visite à Berlin-Ouest le 26 juin 1963 à l'occasion des quinze ans du blocus de Berlin. Dans le contexte de l’époque, John Fitzgerald Kennedy souhaitait s’associer à la souffrance vécue par les habitants de Berlin-Ouest, enclave occidentale en Allemagne de l’Est, deux ans après la construction du fameux mur de Berlin.

Dans son discours resté célèbre, JFK déclare: "Nous n'éprouvons aucune satisfaction en voyant ce mur, car il constitue à nos yeux une offense non seulement à l'histoire mais encore une offense à l'humanité."

Depuis cette phrase, devenue slogan, est utilisée lorsque l’on souhaite s’associer à la souffrance vécue par tel ou tel groupe de personnes de par le monde.  Surtout, cette phrase souligne à quel point, pour la sensibilité de celui s’exprime ainsi, persécuter, brimer, porter atteinte à un seul homme ou un seul groupe d’êtres humains revient à porter atteinte à toute l’humanité.

Les 7, 8 et 9 janvier 2015, les attentats dits "de Paris" été perpétrés, contre les journalistes de Charlie Hebdo, contre des membres des forces de l’ordre, contre des Français de confession juive, etc. Avant tout, contre des Français. Ce fut le déni, l’incompréhension, dans les premières heures, puis la sidération. Vint ensuite le recueillement, puis ce sursaut national et cet "esprit du 11 janvier" qui fait que la France n’est plus tout à fait le même pays qu’avant les attentats.

 

Pourquoi un tel sursaut ?

Je me suis souvent posé la question : pourquoi le meurtre d’une petite fille juive par Mohamed Merah, un certain 19 mars 2012, n’a-t-il pas provoqué un tel sursaut ? Si les assassinats perpétrés cette année n’avaient eu comme victimes que des Français de confession juive, ce sursaut national aurait-il eu lieu ?

Pour tenter de répondre à cette question, j’ai le sentiment qu’en s’attaquant à Cabu, Charb, Wolinski et les autres, les assassins se sont attaqués à ce qui fait le fondement de notre identité française: la liberté. Et notamment, la liberté d’expression. Les journalistes de Charlie Hebdo représentaient une sorte d’absolu en matière de liberté d’expression: un peu "anars", libertaires, très altermondialistes, érotomanes, iconoclastes... Franchement, permettez-moi d’insister, mais à la lecture d’un tel tableau, qui peut encore se permettre de dire "Je suis Charlie"? Peu de monde, croyez-moi!

Pour autant, tous les Français ou presque se sont sentis atteints au plus profond de leur être par ces événements. Les rassemblements et les marches du 10 et du 11 janvier en furent la preuve. Si les syndicalistes parvenaient à mobiliser autant sur les retraites ou sur la loi Macron, j’en serais personnellement ravi. C’est loin d’être le cas, même si les menaces sur les salariés sont bien réelles.

L’autre question que je me pose est de savoir ce qui pousse des citoyens français à devenir des assassins dont la barbarie est sans bornes. Le djihadisme, l’islam, n’ont rien à voir là-dedans. Juste après les attentats, des musulmans faisant autorité en la matière ont déclaré  qu’islam vient de salam qui veut dire "paix". Et certainement pas soumission, comme l’on tente de nous le faire croire depuis longtemps maintenant. En outre, pour citer Abd Al Malik dans Télérama n°3397, "(...) le djihad dont tout le monde parle n’est pas seulement la guerre de conquête (c’est le petit djihad, selon le coran), mais surtout la guerre intérieure que chaque musulman doit mener contre lui-même, son égoïsme, son intolérance. C’est cela, le grand djihad (...)". On comprend mieux l’oxymoron "guerre sainte" qui est l’équivalent de "djihad" en français, dans ce cas.

 

L’exclusion

En revanche, j’ai été frappé par deux histoires que j’ai vécues récemment.

J’étais invité à une fête dans le quartier de La Reynerie, à Toulouse, il y a quelque temps. Lors de cette fête, l’immense majorité de l’assistance étaient d’origine maghrébine, tout comme moi, au demeurant. Je me mets à danser et une jeune femme me remarque de loin. Lorsque je me rassois, celle-ci m’interpelle et me demande: "pour un européen, tu danses plutôt bien les danses orientales, dis-moi!". Puis la conversation s’enclenche. C’est à ce moment qu’elle me parle "des Français". Pour elle, les "Français", ce sont les autres, les blancs, ceux qui sont d’origine européenne. Alors je lui pose la question: Et moi, à ton avis, est-ce que je suis français, d’après toi?" Sans hésiter, elle me répond: "Et bien oui". Je lui réponds que je ne suis pas d’origine européenne, pourtant. Mon père est né à Oran et ma mère à Tlemcen. Elle me lance: "Et tu comptes retourner au bled, bientôt?" Je lui réponds que cela fait partie de mes projets de vie en effet. Mais pour ce qui me concerne, ce ne sera pas un retour. Je n’ai jamais mis les pieds en Algérie, en l’occurrence. Elle me met en garde: "Tu sais, si tu dois aller là-bas, il vaudrait mieux que tu connaisses des gens sur place; tu seras mieux accueilli…"

A cet instant, je lui retourne la question: "Et toi, est-ce que tu es française?".  La réponse fuse: "Non!" Pourtant lui dis-je, "tu as une carte d’identité. Et sur cette carte d’identité, quelle est la nationalité inscrite?" Sa réponse se fait toute douce et presque contrite: "nationalité française".

Qu’ajouter de plus, à l’expression toute nue de l’exclusion? Cette exclusion est vécue au point que ces gens ne se sentent ni Français en France, ni Algériens, Tunisiens, ou Marocains en  Algérie, en Tunisie ou au Maroc. Et pourtant ceux que je croise veulent s’en sortir, sans aucun doute.

L’autre histoire est celle de B. qui m’a appelé un jour pour que je l’accompagne pour un entretien préalable à son éventuel licenciement. C’est l’histoire la plus douloureuse que j’aie connu depuis que j’exerce la fonction de conseiller du salarié. Il était apprenti. Il venait d’être exclu de son école pour des absences répétées et de l’insubordination. Son  employeur voulait en profiter pour s’en débarrasser et s’est permis de monter en épingle des bricoles pour le coincer. J’ai toujours mis un point d’honneur à trouver une solution pour les salariés que j’accompagne ou ceux que je défends, mais dans ce cas précis, ce fut peine perdue. B. m’a appelé une dernière fois pour me dire que son employeur recourait aux Conseil des Prud’hommes à son encontre! Le monde à l’envers. Puis je n’ai plus eu aucune nouvelles de B. Je suis resté avec cette angoisse: B. va-t-il s’en sortir ou au contraire, va-t-il sombrer dans la délinquance? Que se passe-t-il dans la tête d’un jeune lorsque toutes les portes se ferment tour à tour?

Les événements que je vous relate ont eu lieu quelque temps avant les attentats. Nous sommes tous peu  ou prou les témoins de ces glissements progressifs d’une certaine partie de la population hors de la communauté nationale ou hors des lois de la république. Et il n’est pas toujours possible d’y résister.

 

Le fondamentalisme religieux

Pour revenir aux assassins, il me rappellent les mises en cause de notre société capitaliste par les terroristes des années 70 ( Bande à Baader, Brigades Rouges, Action Directe). Ils nous renvoient à la cruauté de ce système qui permet à une minorité de s’enrichir de manière indécente tandis que d’autres se sentent exclus du partage des richesses. La réponse qu’ils apportent à ce type de question passe malheureusement par une nouvelle forme de fascisme, qui je le répète, n’a rien à voir avec l’islam. Pour preuve, parmi tant d’autres, les destins brisés des jeunes femmes qui décident de partir en Syrie pour "faire le djihad". Aucune n’est revenue.

Surtout, cette nouvelle forme de fascisme nous renvoie à celui des années trente.  A cette époque, le but ultime des phalangistes espagnols, des fascistes italiens et des nazis allemands était en quelque sorte de résister aux progrès de l’humanité apporté par la Révolution Française. Leur but était un retour à l’Ancien Régime ", comme cela a été si joliment dit dans le roman de Javier Cercas: "Les soldats de Salamine" (Actes Sud, 2002). Le fondamentalisme religieux est dans cette même veine. Comment résister aux progrès de l’humanité? Comment résister aux Printemps Arabes? Comment résister à ces femmes kurdes qui prennent les armes contre eux? Comment rétablir un Califat?

Toutes ces questions sont veines. Les progrès de l’humanité sont en marche. Et parmi tous ces progrès, la liberté d’expression, précisément. Tous les attentats n’y feront rien et je gage qu’à l’instar de ce qui s’est produit le 11 janvier, les forces de progrès de l’ensemble de la planète se mobiliseront d’autant plus. Bien entendu, cette mobilisation internationale m’a beaucoup ému. En outre, les assassins croyaient abattre Charlie et son esprit. Ils n’ont fait que le raviver. Cuisante défaite.

 

Les religions

Au delà de la formule "Je suis Charlie", je m’associe à la douleur des familles endeuillées, je m’associe au deuil de tout un pays qui a perdu les modèles qu’étaient les journalistes assassinés. Par ailleurs, je partage la douleur de ceux qui comme moi, les voyaient comme des "frères d’armes", dans le combat contre les excès du libéralisme économique et contre tous les fascismes. Alors oui, je suis Charlie.

Comme il a été dit ces dernier temps, la liberté d’expression ne se négocie pas. La laïcité non plus. Jusqu’aux attentats du mois de janvier, la caricature et la satire faisaient un peu "vintage". Je me souviens des caricatures d’hommes politiques de la troisième république dans mes livres d’histoire, lorsque j’étais adolescent. Depuis, la caricature et la satire sont beaucoup plus dans l’air du temps. En tout état de cause, la caricature et la satire sont comme l’expression ultime de la liberté d’expression. En outre, la caricature et la satire permettent de tourner en dérision ce qui doit l’être, ce qui se prend trop au sérieux.

Les institutions, entre autres: l’Etat, le gouvernement, l’armée, les religions, etc.

Concernant les religions, avec tout le respect que je dois à toutes les personnes pieuses qui liront ces lignes, je considère qu’elles ne sont qu'une étape dans le devenir spirituel de l’humanité. Etape nécessaire, selon moi, mais loin d'être suffisante... Dans son ouvrage, "Vivre en paix", Thierry Janssen parle de différents niveaux de conscience: la conscience physique (boire, manger, se reproduire, etc.), la conscience émotionnelle (la recherche de la récompense et la fuite de la punition), la conscience intellectuelle (la raison, le langage, les apprentissages, etc.) et la conscience spirituelle. L’on peut relever que ces niveaux de conscience correspondent peu ou prou aux différentes étapes de la constitution du cerveau au cours de l’histoire de la vie sur terre: cerveau reptilien (physique), cerveau limbique (émotions) et néo-cortex cérébral (raison, langage). Pour plus de détails, j’ai décrit ces différentes couches cérébrales dans l’un de mes articles précédents.

Dans cet article, je concluais sur l’idée que nous sommes gouvernés par nos émotions et que la raison ne vient que justifier a posteriori ce que nos émotions nous ont poussé à faire. Une sorte de marché de dupes dans lequel nous serions à la fois l’auteur et la victime. En tout état de cause, nous sommes bien loin d’une véritable conscience spirituelle.

Les premiers "religieux" de l’histoire de l’humanité s’en sont vite rendu compte. Nous étions et sommes toujours déconnectés. De D. si l’on croit en Lui, de son intérieur ou de la nature, si l’on n’y croit pas. La religion devait nous permettre de rétablir ce contact. Une des étymologies admises pour "religion" est que ce mot vient du latin "religare", relier. A titre d’exemple pour illustrer cette déconnexion, dans la Genèse, la pomme, la Péché Originel, la fuite du jardin d’Eden ne disent pas autre chose, à mon avis.

L’on sait quels furent les travers de toutes les religions monothéistes, vis à vis de cette grande idée initiale: la religion est devenue un instrument à des fins politiques. C’était nécessaire, au VI ème siècle avant Jésus Christ, lorsque l’Ancien Testament a été rédigé. La Bible devait permettre la constitution d’une identité nationale non pas autour d’un territoire, dont les Hébreux été privés suite à l’exil à Babylone, mais autour d’un livre. A présent, l’on mesure souvent les effets pervers de la dérive politique du sentiment religieux. A ce titre, deux exemples : Le film "Le procès de Viviane Amsalem" (Shlomi et Ronit Elkabetz, 2014) dénonce le pouvoir judiciaire des rabbins dans la société juive orthodoxe israélienne. D’autre part, le christianisme a eu son Inquisition.

Surtout, les historiens s’accordent à dire que le "prétexte religieux" pour mener à bien les pires exactions est devenu le seul et unique prétexte qui fonctionne à présent. Les utopies séculaires se sont toutes effondrées peu ou prou (fascisme, nazisme, stalinisme, maoïsme, etc.) et l’on ne peut que s’en féliciter, compte tenu des génocides que ces idéologies ont provoqués. Seul subsiste le prétexte religieux, d’autant plus puissant qu’il est invérifiable : "tue et tu iras au paradis".

 

La laïcité

Dans ces conditions, je suis convaincu que la religion ne saurait constituer un instrument moderne pour mener à bien la politique d’un pays, quel qu’il soit. En outre, je regrette qu’un pays comme Israël, créé récemment (en 1948), ait adopté la définition "d’Etat Juif" alors que la France et la Turquie avaient déjà montré la voie de la laïcité constitutionnelle en 1905 et en 1937, respectivement. Même si la laïcité en Israël revêt des aspects bien complexes qu’il est impossible de résumer en deux phrases. Par ailleurs, la charia appliquée en Arabie Saoudite compte de plus en plus d’opposants et surtout d’opposantes parmi ces femmes saoudiennes à qui la conduite automobile est interdite. A ce titre, le film saoudien "Wadjda" (Haifaa Al Mansour, 2013) est édifiant. Wadjda souhaite acquérir un vélo, ce qui est en principe interdit au petites filles. Elle ne se soumet pas à la loi des adultes et donne une leçon de résistance à sa propre mère.

Issue des penseurs grecs et romains, puis du Siècle des Lumières, la laïcité est au contraire l’instrument ad hoc dont nous devons nous emparer pour construire des états plus modernes, des politiques plus éclairées. La séparation des religions et de l’état permet en outre de maintenir le fait religieux dans la sphère du privé et d’assurer une liberté de culte entière et totale. Aucune religion n’est privilégiée par rapport à une autre.

 

Spiritualité

Toutes les spiritualités et toutes les religions de la planète s’accordent pour transmettre le même message : "Aimez-vous les uns les autres". Le judaïsme, le christianisme, l’islam, entre autres. Pourquoi faut-il qu’il y ait autant de guerres, autant de conflits et même autant de brouilles dans nos quotidiens? Il faut croire à l’instar de Thierry Janssen dans son ouvrage "Vivre en paix", que nous n’en sommes qu’aux balbutiements d’une conscience pleinement spirituelle qui nous permettrait de parvenir à l’amour et à l’harmonie universels.

J’assistais à un stage d’initiation à la méditation bouddhiste en juillet 2014. Lors de ce stage, la moniale qui procédait à l‘enseignement nous expliquait ce qu’est la méditation. C’est, disait-elle, la troisième et dernière étape d’un processus qui en compte donc trois. La première étape, c’est l’enseignement: aimez-vous les uns les autres, précisément. La deuxième, c’est la confrontation avec le réel. Et le réel, c’est bien souvent Untel ou Unetelle qui nous fait peur, qui nous met en colère ou qui nous rend triste. Et puis quelque chose en nous nous dit que ces émotions négatives amenuisent notre énergie et nous affaiblissent. Une troisième étape est alors nécessaire pour faire siens les enseignements de la première étape: c’est la méditation. Méditer le "aimez-vous les uns les autres".

Lors d’un stage intitulé : "La crise du capitalisme", en février 2014, alors que toute l’assemblée pestait – à juste titre - contre ces actionnaires des grandes entreprises qui s’enrichissent à milliards pendant que tout le reste de la planète s’appauvrit, en plein débat, j’ai fait cette remarque: "Pour changer le monde, il est nécessaire de se changer soi-même".  Un grand silence de quelque secondes a suivi la remarque, puis le débat a repris comme si mes paroles n’avaient jamais été prononcées…

Et si se changer soi-même, c’était précisément mener cette "guerre intérieure" dont parle Abd Al Malik ? Il y a nécessairement un lien entre les deux idées.

 

 

BIBLIO- et FILMOGRAPHIE

John Fitzgerald Kennedy, discours de Berlin-Ouest, le 26 juin 1963

Abd Al Malik, Télérama n°3397

Javier Cercas, "Les soldats de Salamine" (Actes Sud, 2002).

Thierry Janssen, "Vivre en paix", (Robert Laffont, 2003, Poche Marabout, 2013)

"Le procès de Viviane Amsalem" (Shlomi et Ronit Elkabetz, 2014)

"Wadjda" (Haifaa Al Mansour, 2013)

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Commentaires
M
L'homme a par nature un côté animal, malheureusement, et pire, un goût trop prononcé pour la richesse, la gloire, le pouvoir, je pense...
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  • Devant le rouleau compresseur de la pensée unique, "Un sillon, une voix" se veut l'expression d'une pensée différente. Pensée dont le but est de remettre l'humain et l'humanité au coeur de nos préoccupations. La "Voix" est liée à ma passion pour le chant.
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