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Un sillon, une voix
12 octobre 2017

MYSTIFICATION

En juillet 1936, Pablo Picasso réalise conjointement avec son ami Luis Fernandez un rideau de scène pour la pièce « 14 juillet », de Romain Rolland. Ce rideau s’intitule : « La dépouille du Minotaure en costume d’Arlequin. Cette œuvre est visible au Musée des Abattoirs de Toulouse.

Sans me livrer à une analyse exhaustive de l’iconographie de ce rideau de scène, j’y vois le capitalisme moribond – le minotaure - soutenu par le fascisme – l’homme à tête d’aigle. En opposition, le poing du communisme, mais plus encore, la jeunesse triomphante et couronnée. L’on pourra également ajouter le costume d’Arlequin qui donne au capitalisme vu sous cet angle, un aspect « Commedia dell’arte », risible. Dérisoire, même.

Ce rideau de scène s’inscrivait à l’époque dans le contexte du Front Populaire et d’une Gauche au pouvoir pleine d’espérances, mais également pleine d’inquiétudes. L’avenir montrera à quel point les inquiétudes étaient fondées. Les espérances aussi, du reste…

Surtout, l’histoire récente – XIXème, XXème et XXIème siècles – montre les recours réguliers aux fascismes afin de régénérer un capitalisme en crise. Les deux guerres mondiales du XXème siècle en sont l’illustration la plus flagrante. Sur ce sujet, en février 2014, Mireille Bruyère, professeur d’économie à l’Université Jean Jaurès de Toulouse et Thomas Dallery, professeur d’économie à l’Université de la Côte d’Opale, dans les Hauts-de-France, ont fait une présentation brillante et éclairante à une assistance de syndicalistes aux rangs desquels je figurais.

Mais commençons par le commencement, le 30 mai 1871, Karl Marx (1818 –1883) écrit le pamphlet « La guerre civile en France ». Dans un style sec, haché, énervé, il y étrille Adolphe Thiers (1797-1877), qui vient d’écraser la Commune de Paris dans le sang. Même si le syle est sec, les propos sont justes. Ce pamphlet est écrit dans le contexte d’une défaite militaire de la France contre la Prusse d’Otto Bismarck et d’un armistice conclu le 28 janvier de la même année. Je le cite :

 « Qu’après la plus terrible guerre des temps modernes, le vaincu et le vainqueur fraternisent pour massacrer en commun le prolétariat, cet événement inouï prouve, non pas comme Bismarck le pense, l’écrasement définitif d’une nouvelle société montante, mais la désagrégation complète de la vieille société bourgeoise. Le plus haut effort d’héroïsme dont la vieille société soit encore capable est une guerre nationale ; et il est maintenant prouvé qu’elle est une pure mystification des gouvernements, destinée à retarder la lutte des classes, et on se débarrasse de cette mystification, aussitôt que cette lutte des classes éclate en guerre civile. La domination de classe ne peut plus se cacher sous un uniforme national, les gouvernements nationaux ne font qu’un contre le prolétariat ! »

Karl Marx dénonce ici la socité bougeaoise dont est issu son grand ami Friederich Engels, fils d'industriel et également à l'origine de la théorie marxiste. Ceci est illustré dans le film de Raoul Peck qui sort en ce moment sur les écrans: "Le jeune Karl Marx". A voir.

Le plus intéressant ici est bien la description limpide de la mystification. Le capitalisme est une prédation. Une prédation à plus d’un titre. Prédation des ressources de la planète, d’une part. La date de dépassement, c’est à dire date à laquelle l’humanité a épuisé les ressources de  la planète et vit donc à crédit est une date qui avance dans l’année. Du 23 décembre dans les années soixante-dix, nous sommes passés au 2 août cette année ! Et prédation sociale d’autre part. Le « lean management » autrement appelé toyotisme, le management tyrannique et agressif, le management déficient et leurs conséquences  sur la santé des salariés (burnout, dépressions, accidents vasculaires cérébraux, cancers, maladies cardio-vasculaires) en sont l’illustration. Mais qui dit prédation dit épuisement des ressources. Dans toute l’histoire de la vie sur la Terre, l’extinction des prédateurs a suivi de près l’extinction de leurs proies.

Pour autant, le capitalisme demeure, voire fleurit, malgré toutes les prédations citées plus haut. Et tout cela grâce à une mystification. Une montée du nationalisme, une guerre nationale, une guerre civile en suivant et le tour est joué. Karl Marx ajoute «  (…) le bourgeois d’aujourd’hui se considère comme le successeur légitime du seigneur de jadis (…) »

La Révolution Française est une révolution bourgeoise. La bourgeoisie d’alors venant tout simplement remplacer l’aristocratie qui tenait le pays entre ses mains. En effet, cette révolution, tout autant que les suivantes, n’a pas permis de mettre fin à la domination de classe.

Par ailleurs, le contexte de la Première Guerre Mondiale constitue une bonne illustration de cette mystification. En France, à cette époque, la IIème Internationale Socialiste a le vent en poupe. Jean Jaurès, représentant du courant réformiste et Jules Guesde, qui représente le courant révolutionnaire, s’associent en 1905 pour former la  Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO).  Pour autant, en 1914, Jean Jaurès et Jule Guesde s’opposent. Le premier est pacifiste. Il le paye de sa vie. Il est assassiné le 31 juillet 1914, juste avant l’entrée en guerre de la France. Le second déclare : « La guerre est mère de révolution. » Comme quoi, le nationalisme aveugle parmi les plus illustres des hommes politiques de l’époque. Sans vouloir minimiser les raisons plus ou moins bonnes pour lesquelles la France est entrée en guerre à ce moment-là, ces raisons et cette guerre sont venues masquer le véritable enjeu.

 Le véritable enjeu de  l’époque, - et l’enjeu actuel, par ailleurs - c’est bien que les travailleurs de tous les pays s’unissent. Et ce, afin de constituer un rapport de force qui leur soit favorable contre la société bourgeoise et le capitalisme tant décriés. L’on connaît le résultat. La IIème Internationale Socialiste ne résistera pas bien longtemps à la Première Guerre Mondiale. Ni même l’idée d’Internationale Socialiste.

Encore aurait-il fallu que le politique émerge véritablement. Dans La politique a-t-elle encore un sens, Hanna Arendt démontre qu’au cours de l’Histoire, la politique a eu du mal à se constituer un sens. Certes chez les Grecs, les philosophes gouvernaient la cité et débattaient de la meilleure manière de vivre ensemble. Ils ont inventé la démocratie, nous a-t-on rappelé en haut lieu, récemment. Pour autant, ils étaient appuyés en cela par les guerriers qui défendaient le territoire, par les prêtres qui consolidaient l’édifice intellectuel, mais surtout par toute une armée de masses laborieuses, de femmes dont les fonctions exclusives étaient de travailler et de faire des enfants et enfin, d’esclaves ! Donc, à sa naissance, l’idée de démocratie était liée à celle de violence. Celle du maître vis à vis de son esclave. Autrement dit la démocratie grecque contenait sa propre négation !

Hannah Arendt poursuit sa démonstration jusqu’à l’époque moderne. L’époque moderne est caractérisée par une concentration du droit de violence des les mains d’un corps constitué appelé l’Etat. L’Etat nous protège et à ce titre, ses représentants – policiers et gendarmes – sont les dépositaires exclusifs de la violence.

Et c’est bien cette violence d’Etat qui a conduit aux excès, puis aux crimes de masse perpétrés au nom des idéologies utopiques du XXème siècle : fascisme, nazisme, stalinisme, maoïsme. La violence d’Etat, pour autant qu’elle soit utile à notre protection, a constitué à de nombreuses reprises un frein à l’émergence du politique.

Nous n’en sommes plus là, fort heureusement. Il n’en reste pas moins que la violence d’état existe toujours et que l’épouvantail du nationalisme permet aux puissances financières de se maintenir au pouvoir. Pour compléter le tableau, le politique a du mal à se frayer un chemin au milieu de la politique-spectacle. Les simplifications à outrance de Marine Le Pen, l’hologramme de Jean-Luc Mélenchon, les pas devant la Pyramide du Louvre  pour Emmanuel Macron, le débat à fleurets mouchetés entre Jean-Luc Mélenchon et Edouard Philippe lors de l’Emission Politique sur France 2,  jeudi 28 septembre, les invectives de Jean-Luc Mélenchon à l’encontre de Manuel Valls, etc.  De la politique-spectacle. Tout cela ne facilite pas le débat…

Ce débat, sur quoi devrait-il  porter, s’il existait ?

Sur de véritables transformations sociales. Et non sur les réformes du Code du Travail inutiles que l’on assène sur le dos des salariés depuis les années soixante-dix. Sur toutes les réformes du code du travail depuis lors, aucune n’a permis de faire reculer le chômage, si ce n’est les 35 heures, en 2002. Tenter de nous faire croire que ces réformes permettent de faire reculer le taux de chômage tient une fois encore de la mystification.

Les véritables transformations sociales devraient au contraire avoir pour but de mettre un terme à la domination de classe. Un rééquilibrage, en quelque sorte.

Je cite volontiers l’exemple du revenu universel d’existence. J’en suis un fervent défenseur. A ce titre, je ne peux que recommander le livre collectif « Pour un revenu de base universel ». Ce livre montre à quel point un revenu versé à tous, de la naissance à la mort, sans condition de ressources ni contrepartie constitue un levier pour une émancipation individuelle et une transformation de la société.

En outre, un revenu universel permettrait aux étudiants de ne plus devoir consacrer une bonne partie de leur temps et de leur énergie à subvenir à leur besoins et de ce fait, de vouer toute leur énergie à leurs études. Un revenu universel permettrait au salarié victime du harcèlement de son employeur de ne pas y être condamné définitivement, sous peine de ne pas manger ! Et j’en passe…

 Je crois sincèrement par ailleurs qu’un revenu de base permettrait une réelle transformation de la société. En effet, l’on peut imaginer que les personnes qui consacrent moins de temps à subvenir à leurs besoins, pourraient alors passer plus de temps à débattre. Et à être acteurs du vivre-ensemble, de ce fait.

Cette idée n’a malheureusement pas été assez développée lors de la campagne présidentielle. Benoît Hamon l’a reprise à son compte sans qu’elle ait été suffisamment débattue auparavant. L'idée était rtrop immature. En outre, rien ou presque rien n'avait été réfléchi au sujet de sa mise en oeuvre et de son financement. Résultat, dans son programme, à coup d'atermoiements et de rétropédalages, cette mesure a malheureusement plus fait office d’épouvantail que d'autre chose.

Il existe beaucoup d’autres solutions. Je ne les développerai pas toutes ici. Au grès de l’actualité, elles feront certainement l’objet d’articles ultérieurs. Je suis par exemple également un fervent défenseur de l'Economie Sociale et Solidaire...

Les forces de l’argent poussent encore à la roue pour maintenir leur domination. Leur avantage, en sorte. Les ordonnances Macron-Pénicaud, n-ième coup porté contre les salariés en sont une nouvelle preuve. Mais est-ce à nouveau le «chant du cygne »  d’un capitalisme moribond ?  L’on est en droit de se poser la question. Pour un nombre grandissant de nos concitoyens, le recours au débat est préférable au recours à la violence. Compte tenu de ce qui vient d’être restitué dans cet article, cette idée est plutôt nouvelle.

 

Références biblio- et filmographiques :

Karl Marx, La guerre civile en France, Editions de L’Herne, 2016, p 113-116.

Anna Harendt, La politique a-t-elle encore un sens, Editions de L’Herne, 2017

Roul Peck, Le jeune Karl Marx, Allemagne/France, 2017

Claude Willard, Jules Guesde, l'apôtre et la loi, Les éditions ouvrières, coll. la part des hommes, 1991, p. 103-113.

Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB), Pour un revenu de base universel, Editions du Détour, 2017.

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Un sillon, une voix
  • Devant le rouleau compresseur de la pensée unique, "Un sillon, une voix" se veut l'expression d'une pensée différente. Pensée dont le but est de remettre l'humain et l'humanité au coeur de nos préoccupations. La "Voix" est liée à ma passion pour le chant.
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