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Un sillon, une voix
12 juillet 2014

L'homme est né libre...

Dans le cadre de mes activités syndicales, je suis amené à rencontrer un grand nombre de salariés. Ceux-ci viennent d'horizons multiples, une boulangère, une secrétaire comptable, un jardinier paysagiste, un ingénieur, etc. Tous ou presque se sentent opprimés par leurs employeurs. Cela va jusqu'à des persécutions pour certains.

Tout cela sans revenir sur la souffrance au travail de manière générale ( harcèlements, surcharge de travail, perte de sens, etc. ) qui a fait l'objet de mon article précédent ( La souffrance au travail, le management alternatif, 31 décembre 2013)

On pourrait gloser sur l'attitude arrogante, cynique et parfois imbécile des employeurs qui oppriment, voire même qui persécutent leurs salariés. Ce serait vite stérile. Les employeurs en question se considèrent dans leur bon droit. De fait, non sans un certain cynisme, une de mes connaissances me disait la semaine dernière: "Ils sont du côté du manche du couteau! Pourquoi feraient-ils autrement?"

Force est de constater que le rapport de force est de manière écrasante en faveur du patronat dans son ensemble. Que ce soit les patrons de PME ou ceux des grandes entreprises. D'où cela vient-il?

"L'homme est né libre et partout, il est dans les fers". Cette citation est extraite du "Contrat social", de Jean-Jacques Rousseau, publié en 1762. Peu de temps après survenait la Révolution Française, inspirée directement des Philosophies des Lumières et du "Contrat Social", notamment. En outre, ce contrat social affirmait les principes de souveraineté du peuple, de liberté et d'égalité.

On retrouve même ces principes sous forme de devise au fronton des mairies, un peu partout en France.  La devise de la République Française : "Liberté, Egalité, Fraternité".

Alors probablement que dans l'esprit des gens, on s'est dit, à ce moment-là et plus tard dans l'Histoire: "C'est gagné! Nos droits sont enfin reconnus!"

Des Déclarations des Droits de l'Homme ont même été rédigées pour renforcer cette prise de conscience.  La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, le 26 Août 1789, la déclaration des  droits de la femme et de la citoyenne en 1791, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, le 10 décembre 1948, pour ne citer que ces trois-là. En outre, La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen stipule, dans son Article Premier: "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune."

Le dix-septième et dernier article de cette même Déclaration précise également: "Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité."

Dans la foulée de la toute première Déclaration des Droits de l'Homme, le Code Civil était promulgué par Napoléon Bonaparte le 21 mars 1804. Bonaparte n'en était pas l'instigateur, comme l'on s'est plu à le penser parfois. La rédaction du Code Civil avait démarré bien avant l'arrivée de Napoléon Bonaparte au pouvoir. En tout état de cause, le Code Civil consacre l'égalité de tous: disparition du clan et donc de son chef, disparition de la famille en tant qu'entité juridique, etc.

Pour autant, ce principe d'égalité se heurtait à un autre principe énoncé dans la Déclaration  de Droit de l'Homme et du Citoyen de 1789 : le dix-septième, précisément. Dans une entreprise, comment l'employeur peut-il jouir pleinement de son droit de propriété dans une société française où tout le monde est l'égal de tout le monde? Il faut bien qu'il puisse décider de l'avenir de son entreprise en son âme et conscience et ce, sans interférence aucune.

Cette position est totalement archaïque et dépassée selon moi. Elle est néanmoins toujours en vigueur et tout le monde doit s'y soumettre, jusqu'à nouvel ordre. En effet, en 1922, le Code du Travail était promulgué pour la première fois. Il a été remanié de nombreuses fois depuis. Le Code du Travail régit les principes du travail salarié, notamment le lien de subordination et le pouvoir de direction.

Du point de vue du droit français, le contrat de travail est caractérisé par ses trois composantes: le lien de subordination, la fourniture d'un travail et la rémunération. En outre, la jurisprudence Cass. soc., 13 novembre 1996, Bull. civ., V, n° 386; pourvoi n°94-13187 stipule: "Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail."

Le Code du Travail et sa jurisprudence consacrent l'exception au Code Civil: en échange d'un salaire, salaire dont il a un besoin absolu pour vivre, un être humain adulte accepte de perdre une partie de la souveraineté qu'il a sur lui-même au profit d'un autre être humain. L'égalité pour tous, tu parles!

Selon moi, le Code du Travail est l'exception au Code Civil. Son essence même est avant tout la protection des employeurs dans l'exercice libre, plein et entier du pouvoir de direction et du pouvoir disciplinaire et non la protection des salariés, comme l'on peut le croire souvent.

Pour élargir le sujet, depuis la Révolution Française, il a subsisté un bon nombre de ce que j'appellerais des "poches de résistance" aux principes révolutionnaires. J'en citerais deux.

Le statut des femmes tout d'abord. Les femmes ont participé activement à la Révolution Française. Olympe de Gouges, notamment. Première féministe au sens moderne du terme, Olympe de Gouges rédigea la déclaration des  droits de la femme et de la citoyenne dans la foulée de celle des Droits de l'Homme et du Citoyen. Pourtant il faudra attendre 1945 pour que les femmes obtiennent le droit de vote en France. Plus de 150 ans après. Cherchez l'erreur!

Dans le même ordre d'idée, il faudra attendre 1965 pour que les femmes de ce pays obtiennent le droit d'exercer une activité professionnelle et d'ouvrir un compte en banque sans le consentement de leurs maris...

Le statut d'indigène ensuite. Ce que l'on appelle l'indigénat. La définition qu'en donne Wikipedia est la suivante:"Il s'agit d'une justice administrative qui s'applique aux seules personnes définies comme "indigènes". Elle ne respecte pas les principes généraux du droit français, en particulier en autorisant des sanctions collectives, des déportations d'habitants et en sanctionnant des pratiques que la loi n'interdit pas, sans défense ni possibilité d'appel."

En outre, le principe de sanction collective est particulièrement choquant et fait penser aux pires heures de l'occupation allemande en France, de 1940 à 1945.

Pour autant, en Algérie, le 24 octobre 1870, la pression de la communauté juive métropolitaine et Adolphe Crémieux, alors ministre de la Justice, poussent le gouvernement de l'époque à accorder la citoyenneté française à la communauté juive algérienne. Comment les Juifs d'Algérie pouvaient-ils avoir des droits différents de ceux de métropole ?

Malheureusement,  à cette époque, les indigènes arabo-musulmans furent exclus de cette disposition. L'indigénat arabo-musulman fut aboli en 1946. Et malgré cela, il faudra attendre l'indépendance de l'Algérie en 1962 pour que les arabo-musulmans y accèdent à une citoyenneté pleine et entière. Algérienne, cette fois.

Les exemples de "poches de résistance" sont nombreux. Impossible d'en faire le tour en quelques phrases.

Cela étant, patiemment, les temps se dirigent vers plus d'émancipation. C'est ce qui donne de l'espoir. Cette émancipation passe par plus de formation et d'information. Non, on ne peut pas s'adresser à un supérieur hiérarchique, un manager ou un employeur comme s'il était un égal. En outre, je déconseille souvent de tenter d'établir une relation affective avec son employeur.

Le patronat dans son ensemble est tenté par plus de suprématie encore. Le Traité Transatlantique, en cours de discussion en ce moment, en est la preuve la plus patente. En outre, les discussions pour aboutir à un tel traité se font de la manière la plus secrète qui soit.

Je tire deux enseignements de mon expérience et de mon vécu de défenseur syndical et de conseiller du salarié. D'une part, des salariés extrêmement remontés contre leurs employeurs ou leurs ex-employeurs. En toute bonne foi, ils s'en sont remis à ce système en pensant que la confiance et la réciprocité seraient de mise. Ils constatent qu'il n'en est rien et en nourrissent beaucoup d'amertume. Et d'autre part, des employeurs en plein désarroi vis à vis de ce pouvoir immense qui leur est octroyé: gérer des gens comme si c'étaient des biens. Ces employeurs-là sont dépassés par la complexité d'une telle tâche !

Il est impossible de dégager une tendance générale du vécu d'un particulier, bien entendu. Pour autant, nous en sommes arrivés à un niveau de tension tel qu'il est grand temps pour moi d'imaginer un autre type de contrat social. Certes, ce contrat social d'un type nouveau remettrait partiellement en cause le principe constitutionnel d'inviolabilité de la propriété privée, mais il permettrait une prise de décision tripartite au sein des entreprises: l'employeur, les salariés et les usagers.

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  • Devant le rouleau compresseur de la pensée unique, "Un sillon, une voix" se veut l'expression d'une pensée différente. Pensée dont le but est de remettre l'humain et l'humanité au coeur de nos préoccupations. La "Voix" est liée à ma passion pour le chant.
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